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Hommes Sans Epaules
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Rome donna un nom au dieu des portes - à ce Janus dont le double visage, selon Macrobe (Saturnales, I, 9), s'imprimait aux deux portes célestes, inaugurant le jour en se levant, le fermant à l'heure de son coucher. Toujours selon le philologue, les portes de son temple, depuis le conflit qui opposa Romains et Sabins, étaient ouvertes durant les temps des guerres et fermées durant les temps de paix.
De Janus à proprement parler il ne sera pas question dans ces pages : en effet, comment le nommerait- on, de nos jours ? L'oeuvre de ce dieu très ancien et très nouveau, ce dieu de jamais et de toujours, est de passer - d'aller enfin. Il ne peut qu'avoir perdu son nom sur les chemins, dans les rues de nos villes devenues plus labyrinthiques que l'ouvrage de Dédale.
Le dieu des portes est de tous les passages, de tous les mondes. Toujours il paraît au seuil des demeures, qu'il franchit en un instant ; il passe par les fenêtres, et qui sait ? traverse même les murs. L'apercevrions-nous que nous verrions dans ses mains la clef du découvreur et le bâton du voyageur.
Ce dieu connaît le temps ; il le contemple ; il y passe, lui aussi - à nous de traquer à chaque instant sa présence, ses empreintes, sa voix, quels que soient ses éphémères visages - ses possibles visages.
La devise de Jean-Antoine Roucher était « Se regarder passer » ; nul doute qu'un dieu la lui chuchota entre deux portes. -
L'aphélie est le nom donné à ce point de l'orbite d'un corps céleste le plus éloigné du Soleil - J'offre aujourd'hui ce nom à tout lointain, et d'abord à celui qui est en chacun de nous, à l'ombre du monde que nous hantons.
J'ai souhaité donner la parole à ce lointain qui est en moi. Regarder - n'est-ce aussi se retirer dans son propre regard, pour le contempler ? Ce regard qui n'est peut-être qu'un immense Regard partagé, éparpillé... (Regarder - serait-ce notre attente ?) Regarder, n'est-ce s'éloigner ? Alors il s'agit de revenir dans le monde, chargé de regards étonnés...
Noctifer (qui a nom aussi Vesper) est l'étoile du soir - C'est le porteur de nuit ; il se distingue de Lucifer, l'étoile du matin, le porteur de lumière - l'un des anciens noms de Jésus, mais aussi l'un de ceux dont on affubla l'ange déchu. Noctifer se lève dans l'heure où nous sommes les plus seuls ; il nous parle parfois, si nous prêtons l'oreille.
Chacun de nous interroge sa nuit : mais cette nuit est-elle notre origine ou notre histoire ?
Frédéric TISON -
Nuages rois : Ballades en prose 2018-2020
Frédéric Tison
- Hommes Sans Epaules
- 24 Avril 2021
- 9782243048391
Ce livre de ballades en prose est l'histoire fragmentée d'une coupure ancienne, parfois difficile, parfois factice, toujours chantante, entre la terre et le ciel - Si, à jamais, les nuages sont rois. Une écriture fine, ciselée, à part, qui fait mouche. Poème-ciel, invincible drap déployé sur le soleil, l'odeur légère des herbes dans l'éclatement du monde. Le poète élève ici ses pierres, poème à poème au fond du château, qui est toi ! Coeur immense, qui contient plus d'un amour, qui contient tant d'amours, qui contient le tien, et d'autres plus lointains. Qu'importe si ton coeur te fait souffrir un moment, si bientôt l'aile te recouvre de son ombre.
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Table d'attente. Plaque, pierre, planche, panneau sur lequel il n'y a encore rien de gravé, de sculpté, de peint. Fig. : C'est une table d'attente, ce n'est encore qu'une table d'attente, se dit d'un jeune homme dont l'esprit n'est pas encore entièrement formé, mais qui est propre à recevoir toutes les impressions qu'on voudra lui donner.
Dictionnaire de l'Académie française, 8e édition (1932-1935)
Cette table d'attente, je la dresse dans ces pages ; j'écris dans ses marges, autour d'une image manquante, d'un visage absent. Je m'y penche, et j'y vois mon ombre ; parfois j'y aperçois celle de quelqu'un qui veille par-dessus mon épaule.
Frédéric TISON