« Le poisson rouge tourne dans son bocal. Il semble redécouvrir le monde à chaque tour. Les ingénieurs de Google ont réussi à calculer la durée maximale de son attention : 8 secondes. Ces mêmes ingénieurs ont évalué la durée d'attention de la génération des millenials, celle qui a grandi avec les écrans connectés : 9 secondes. Nous sommes devenus des poissons rouges, enfermés dans le bocal de nos écrans, soumis au manège de nos alertes et de nos messages instantanés.
Une étude du Journal of Social and Clinical Psychology évalue à 30 minutes le temps maximum d'exposition aux réseaux sociaux et aux écrans d'Internet au-delà duquel apparaît une menace pour la santé mentale. D'après cette étude, mon cas est désespéré, tant ma pratique quotidienne est celle d'une dépendance aux signaux qui encombrent l'écran de mon téléphone. Nous sommes tous sur le chemin de l'addiction : enfants, jeunes, adultes.
Pour ceux qui ont cru à l'utopie numérique, dont je fais partie, le temps des regrets est arrivé. Ainsi de Tim Berners Lee, « l'inventeur » du web, qui essaie de désormais de créer un contre-Internet pour annihiler sa création première. L'utopie, pourtant, était belle, qui rassemblait, en une communion identique, adeptes de Teilhard de Chardin ou libertaires californiens sous acide.
La servitude numérique est le modèle qu'ont construit les nouveaux empires, sans l'avoir prévu, mais avec une détermination implacable. Au coeur du réacteur, nul déterminisme technologique, mais un projet qui traduit la mutation d'un nouveau capitaliste : l'économie de l'attention. Il s'agit d'augmenter la productivité du temps pour en extraire encore plus de valeur. Après avoir réduit l'espace, il s'agit d'étendre le temps tout en le comprimant, et de créer un instantané infini. L'accélération générale a remplacé l'habitude par l'attention, et la satisfaction par l'addiction. Et les algorithmes sont aujourd'hui les machines-outils de cette économie...
Cette économie de l'attention détruit, peu à peu, nos repères. Notre rapport aux médias, à l'espace public, au savoir, à la vérité, à l'information, rien n'échappe à l'économie de l'attention qui préfère les réflexes à la réflexion et les passions à la raison. Les lumières philosophiques s'éteignent au profit des signaux numériques. Le marché de l'attention, c'est la société de la fatigue.
Les regrets, toutefois, ne servent à rien. Le temps du combat est arrivé, non pas pour rejeter la civilisation numérique, mais pour en transformer la nature économique et en faire un projet qui abandonne le cauchemar transhumaniste pour retrouver l'idéal humain... »B.P.
Nous avons quitté le poisson rouge dans son bocal numérique : parfaitement libre, ouvert à tout, mais incapable de grandir, en difficulté pour se concentrer plus de 8 secondes, épuisé par le temps qui file et par les sollicitations infinies. Et travaillé par les algorithmes... Et nous l'y retrouvons, après une expérience mondiale inédite : un poisson rouge confiné, sauvé par sa capacité technique à échanger, travailler, regarder, garder le contact, se divertir... et découvrant, en accéléré, sa prison numérique - libre de tout connaître mais perdant le désir ; parlant à tous et chacun, mais avide de rencontres véritables ; le dos tassé, les yeux rougis, continuant la vie avec un léger sentiment de vide et d'attente....
Impossible de rembobiner, comme dans un film américain : à nous de faire avec cette nouvelle civilisation, qui nous a emportés et transformés en vingt ans. Déconnecter est un leurre : mais lutter avec souplesse ; transformer nos façons de faire, de connaître, d'aimer ; se chercher des rites ; réformer notre langage ; déjouer l'Intelligence artificielle ; et surtout, se créer une plage de temps à soi, chambre virtuelle, mains vides, regards vers le ciels : telles sont les leçons et pistes possibles de cet essai bref, incisif, majeur. D'une méditation sur le temps à un souvenir de wifi en panne, d'un petit déjeuner avec Zuckerberg à une méditation sur les stages de déconnexion durs du patron de Twitter, d'une addiction personnelle à une promenade en forêt sans écran.... Libérez-vous. Renaissez. Petit poisson rouge deviendra grand...
Deux ans après l'immense succès de La civilisation du Poisson rouge, Bruno Patino poursuit son travail de recherche, le déploie et l'approfondit : que chacun puisse se trouver une voie libre et apaisée.
Que reste-t-il de la télévision lorsqu'on l'a quittée après plusieurs années passées à diriger les programmes des cinq chaînes de France Télévisions ? Il reste un récit à base d'anecdotes qui dessinent un monde tantôt familier, tantôt étranger. Un monde qui fabrique des programmes qui nous informent, nous divertissent, ou nous cultivent plus de trois heures et demi par jour. Un monde qui a façonné notre société mais qui semble, aujourd'hui, vaciller et vivre dans la répétition caricaturale de ce qu'il a été.
Un grand groupe de télévision, à fortiori publique, est une cour où la violence de la politique s'exerce, parfois, au service du dérisoire. Diriger les programmes de France Télévisions, c'est vivre la charge narcissique du bal des égos, l'intervention désordonnée des politiques, la fragilité des artistes, la folie douce de certains animateurs, les manoeuvres des producteurs, les guerres concurrentielles, la nature éphémère du rôle de dirigeant, la campagne pour la présidence du groupe.
Toutes scènes, qui, finalement, contribuent à la construction et la compréhension du système télévisuel. Que reste-t-il de la télévision quand les nouveaux écrans connectés nous amènent ses images à l'endroit et au moment où nous le souhaitons ? Lorsque de grands groupes mondiaux contournent les chaînes pour mieux satisfaire nos nouveaux et compulsifs besoins de programmes ? Quand des adolescents armés d'une simple caméra numérique regroupent des millions de fan pour chacune de leurs vidéos postées sur les réseaux ? Quand les enfants les plus jeunes autrefois fascinés se détournent du poste ? Il reste l'avis de décès, non pas de la télévision, mais de ce qu'elle a été.
Au profit d'un monde impossible à délimiter et donc à définir, où l'omniprésence des images animées, curieusement, marque la fin de règne du système télévisuel. Télévisions est un récit personnel qui mêle témoignage et analyse. Raconter la télévision permet de comprendre ce qu'elle n'est plus, et laisse deviner ce qu'elle sera.
« Nous avons perdu la nuit. Les écrans sont arrivés, et avec eux la connexion permanente. Voici venu le temps de l'aube perpétuelle. De la lueur bleutée qui jamais ne s'éteint, du rayonnement qui jamais ne s'apaise. Eveillés, hagards, hébétés, nous sommes irrémédiablement attirés par leur lumière. Finies les insomnies, place à l'a-somnie et aux veilleurs sentinelles, à ceux pour qui la nuit n'est plus qu'une séquence hypnotique entre mauvais sommeil et connexion décevante. Je suis l'un d'entre eux. » Ainsi se livre Bruno Patino dans ces pages prophétiques. Le poisson rouge n'est plus, englouti dans le déluge de signes, textes, images, sons.
Nous habitons le réseau dans l'illusion de la toute-puissance. Nous pensons avoir accès à un choix illimité : musique, films, séries télévisées, livres, actualités et rencontres. Mais le calcul est notre maître ; la fatigue, l'abandon, la fuite et la perte du collectif notre quotidien. L'attente a disparu, et avec elle le manque, et avec lui le désir et le rêve. Nous voici submergés, privés de liberté, réduits à nos données : une vie numérique.
Tout a-t-il été écrit ? Une apocalypse programmée par les créateurs - scénaristes, chercheurs et entrepreneurs ? Si la fin des temps est le produit de notre imaginaire, peut-être pouvons-nous encore en changer le cours.
Un essai brillant et personnel, placé à point nommé dans le torrent numérique. Une Société du spectacle où se dessine une issue.
« Internet n'évolue pas selon le plan secret de quelques producteurs de technologie qui fixent son devenir. Des millions de personnes se sont saisis d'un média pour le transformer en un espace social. Il s'agit de bloguer, skyper, tweeter, poster, naviguer, envoyer et relever des sms et des mails, googleiser et, par-dessus tout, de ne pas perdre la connexion.
Une forme nouvelle de la condition humaine naît de cet accès permanent au réseau. Il n'y a plus de virtuel ou de réel. Tout est réel. L'expérience numérique est devenue une veille sans fin qui transforme tout. Les mass médias, les loisirs, le système de production, les rapports interpersonnels et même l'idée que nous nous faisons de la vie. »J.-F. F. et B. P.
Au sein de l'équipe du Monde Interactif, Bruno Patino et Jean-François Fogel ont conçu et développé lemonde.fr, site d'information leader de l'univers francophone.
Bruno Patino a 40 ans. Il est Directeur de la Publication de Télérama, et Président du Monde Interactif. Docteur en Sciences Politiques, il est également diplômé de l'IEP de Paris, de l'ESSEC et titulaire d'un Master de relations internationales de la Johns Hopkins University. Après avoir travaillé pour le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), il a été correspondant du Monde au Chili, puis Directeur Délégué du quotidien InfoMatin. Il a rejoint à nouveau Le Monde pour s'occuper de sa filiale numérique en l'an 2000. Il est par ailleurs, maître de conférence à l'IEP. Il est l'auteur de Pinochet s'en va, un ouvrage sur la transition à la démocratie au Chili.
Jean-François Fogel a 58 ans. Il est journaliste et consultant. Il est licencié en sciences économiques, diplômé de Sciences-Po et du centre de Formation des Journalistes. Après avoir débuté à l'Agence France-Presse, il a travaillé pour de nombreuses publications dont Libération et Le Point. Il a été de 1994 à 2002 conseiller auprès de la direction du quotidien Le Monde. Il participe à la définition et à la mise en 1/2uvre de la stratégie et de la conception rédactionnelle de la filiale numérique du Monde depuis 2000. Il est l'auteur, entre autres, de Morand-Express et de Fin de siècle à laHavane (Le Seuil).
Les deux auteurs enseignent à la Fondation pour un Nouveau Journalisme en Amérique Latine présidée par Gabriel Garcia Marquez.
Le livre :
Ce livre est un essai sur le journalisme. Il décrit, illustre et analyse les conséquences du développement d'Internet pour la presse. Loin d'être un média qui s'ajoute aux cinq déjà utilisés par les journalistes (livre, journal, cinéma, radio et télévision), le réseau mondial est le levier d'une transformation totale de la relation entre la presse et son audience pour tous les supports.
Les sites d'information ont à peine dix ans (la plupart sont nés en 1996 et 1997) mais avec leur contenu renouvelé en continu et la relation interactive qu'ils entretiennent avec les internautes, ils ont dépouillé le journalisme de ses privilèges. Le pouvoir de produire et diffuser l'information, de donner des rendez-vous à une audience, de décider ce qui fait l'actualité est partagé avec tous. L'influence qu'une profession exerçait a vécu. Ce processus explique, pour une large part, les crises récurrentes, éthiques et économiques, des supports classiques.
Cette tendance n'est pas prête de s'apaiser car les journalistes sont désormais appuyés voire relayés par de nouveaux confrères qui, comme eux, alimentent et éditent des sites d'information : algorithmes, navigateurs, moteurs de recherche, blogueurs et internautes en mal d'expression. Le transfert de ces nouveaux outils et des contenus neufs d'Internet vers les autres médias achève de rendre irréversible un processus de destruction et de recréation de la presse.
Le contexte Cet ouvrage paraît en novembre 2005, quelques semaines avant le dixième anniversaire de la création du site lemonde.fr, premier site d'information dans l'univers francophone avec une audience de 2,8 millions. Cet anniversaire est le premier d'une série de célébrations analogues en France et à l'étranger (le site du New York Times aura dix ans en janvier 2006). Ces anniversaires rappelleront que le nouveau média électronique bouleverse le journalisme, surpasse déjà la pénétration des médias papier dans les pays industrialisés et concurrence directement l'information télévisuelle.